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« Egalité réelle » : de l’oxymore en politique

Ce qui me semble intéressant dans les nominations des nouveaux ministres, ce n’est pas la réussite de quelques affidés du marocain qui obtiennent un strapontin par la grâce du Président, pas même les explications alambiquées données pour expliquer le  reniement de quelques autres, pas même encore le maintien de la plus grande part des plus anciens  dans les grades les plus élevés…

Non c’est tout simplement l’appellation  du poste attribué à Madame Erika Bareigts : « Secrétaire d’Etat à l’Egalité réelle ».  Quel titre merveilleux !

Dire qu’il y a une « égalité réelle », signifie clairement qu’il y a une égalité qui n’est pas réelle… Qu’est-ce donc qu’une égalité qui n’est pas réelle ? Tout simplement une égalité qui n’est pas égale ! Autrement dit une inégalité !

Par chance ce Secrétariat d’Etat est rattaché au Premier Ministre, ce qui suivant ses déclarations, signifie qu’il ne faut surtout chercher ni à questionner, ni  à comprendre … Pourtant au risque de décevoir je me demande quelles vont être les attributions dévolues à ce Secrétariat d’Etat.

La composition de la nouvelle équipe ministérielle m’apporte une réponse par la négative : sûrement pas l’égalité entre hommes et femmes puisque « les droits des femmes » viennent d’être raccrochés en bout de ligne au Ministère de la Famille et de l’Enfance ! Tout un symbole !

Il est vrai que nous sommes en guerre, que le travail manque… que la famille a du plomb dans l’aile… et qu’il n’y a plus que la patrie qui fleurit dans les discours pour tenter de remettre sur pieds un petit père pour la Nation !

Au prochain remaniement, nous aurons, je vous le promets un Ministère de « la Liberté réelle » pour remplacer le Ministère de l’Intérieur ! On en aurait bien besoin après la prolongation régulière de « l’état d’urgence »,  et les reculades amorcées sur le droit du sol…

Et alors, pourquoi pas au remaniement suivant, un Ministère de la « Fraternité réelle »  pour mettre au rancart le Ministère des Affaires sociales ! On en aurait bigrement besoin pour faire avaler tous les reniements des conquêtes sociales…

Il y a quelques années, on avait commencé la dérive avec la notion « d’Ordre juste », « l’Egalité réelle » prend le relais. J’ai cru comprendre que le « droit du travail » allait être rebaptisé « droit virtuel  du travail » en attendant de devenir le « droit du travail virtuel » ! Histoire de revisiter les indemnités de chômage…

Décidément, on n’en peut plus de toutes ces réformes de gauche !

 22 février 2016

« Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

« Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

Cette déclaration du premier Ministre, lors de la commémoration de l’attentat de l’Hyper Cacher, fait écho à une autre déclaration au Sénat le 26 novembre 2015 :  «J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé.» Il ne peut donc aucunement s’agir d’un écart de langage, d’une phrase qui dérape. Le premier ministre est un récidiviste.

Naturellement, cette phrase s’applique au terrorisme ou plutôt aux terroristes, mais comment peut-on en arriver à déclarer qu’il faut éviter de chercher à comprendre ?

Quel est ce principe  qui interdit l’explication des faits au prétexte que cette explication pourrait soulever des questionnements, des interrogations et peut être même des doutes ?

Juger sans comprendre reviendrait à éliminer de notre langage et de notre pensée la question du pourquoi, au prétexte que poser cette question là déboucherait au bout du compte sur une explication des faits qui deviendrait synonyme de bienveillance vis-à-vis des terroristes. N’est-ce pas nous conduire tout droit sur les rives de l’obscurantisme ?

Bien sûr dans un premier temps ce terrorisme intellectuel fait moins de morts que les balles aveugles des kalachnikovs, mais ne s’attaque-t-il pas tout simplement, avec ce genre de déclarations, à notre liberté de penser, à notre liberté de questionner, à notre liberté de comprendre ?

Refuser d’expliquer au prétexte que c’est déjà vouloir un peu excuser, c’est en fait enfermer notre liberté dans la croyance au détriment de la raison, et limiter les phénomènes qui nous entourent au ressenti, à l’émotionnel, à la compassion et aux commémorations multiples.

La raison et, au bout du compte, la liberté de penser passent ainsi à la trappe du terrorisme. N’est-ce pas exactement ce que veulent les auteurs d’attentats ?

A quoi sert la dette publique?

« Nous sommes en crise, nous n’avons plus les moyens, nous avons une dette énorme », voilà ce qui justifie tous les renoncements et conforte les politiques d’austérité.

Quelques chiffres montrent l’impossibilité à contenir la dette et donc notre incapacité à la rembourser en restant dans la logique économique actuelle (pas de reprise, pas de dévaluation de l’euro…)

Pourquoi donc continue-t-on à nous prêter ?


Tout simplement parce que le refus de prêter aux états endettés entrainerait l’explosion de tout le système bancaire, économique mais aussi social. Il est donc beaucoup plus intéressant d’utiliser l’argument de la dette pour imposer des conditions de prêts draconiennes pour l’emprunteur ; celles-ci sont alors  très favorables pour le prêteur (taux d’intérêts, privatisations exigées…) elles font également levier pour la mise en place des réformes libérales exigées pour continuer à faire grimper le montant de la dette !

La première chose qu’il faut remarquer c’est qu’en dépit de ces politiques d’austérité mises en place par N. Sarkozy puis par F.Hollande la dette continue d’augmenter.

A la fin 2013, le montant de la dette publique française se situait à 1900 milliards d’euros. Le total de cette dette se répartissait comme suit :

  • 1509 milliards soit 74,4% de la dette publique représente la dette de l’Etat.
  • 170 milliards soit 8,9% représente la part des collectivités locales.
  • 213 milliards soit 11,2 milliards correspond à la dette de la Sécurité sociale.
  • 8,6 milliards soit 0,5% du montant de la dette totale de divers organismes d’administration centrale (diverses agences).

Depuis 2008, nous empruntons en moyenne 114 milliards par an. Pour diminuer la dette, le gouvernement impose aux collectivités de réduire leurs budgets de 50 milliards en trois ans.
Cela qui représente une économie de 16,6 milliards d’euros par an. Rapporté à l’emprunt moyen annuel de 114 milliards d’euros la dette continue à augmenter d’environ 100 milliards par an !

Calcul rapide diront certains, il s’appuie sur un des chiffres officiels de l’INSEE, un  PIB qui stagne, une croissance en berne. Le montant total de la dette publique est passé de 1900 milliards fin 2013, à 1997 milliards fin 2014, il se situe aux alentours de 2100 milliards à la fin 2015.

Alors bien sûr nous avons évité d’emprunter 15 milliards d’euros par an ce qui représente 0,7% du montant de la dette globale.

Ces quelques chiffres montrent donc :

Que la dette ne sera jamais remboursée,  elle est devenue irremboursable, en France comme en Espagne ou en Grèce,  même au prix des politiques d’austérité drastiques, et ce même dans un environnement économique qui s’appuierait sur une hypothétique reprise de l’activité.

A quoi  sert  la dette publique aujourd’hui ?

  • A nourrir les banques

Remarquons tout d’abord que la dette génère des intérêts pour la banque. Sur l’année 2014, la dette française a rapporté 45 milliards d’euros aux prêteurs ; le niveau des intérêts suit le niveau de la dette, plus la dette est importante, plus les intérêts rapportent, et ceci d’autant plus que le taux des  intérêts réclamés est lié au risque du non-remboursement.

C’est ici qu’interviennent les agences de notation, que ce soit Moody’s, Standard and Poor’s , Ficht et quelques autres. Elles mesurent  les risques encourus par le prêteur ce qui détermine le niveau des intérêts qu’il y aura à verser. Dans l’exemple de la Grèce, les taux d’intérêts de certains prêts étaient supérieurs à 7% alors que le gouvernement français empruntait à 1,5% en dépit de son niveau d’endettement. Nous étions mieux notés…
Notre seule chance dans cette affaire est que les taux d’intérêt sont bas…

  • A justifier les politiques d’austérité

L’argument du niveau de la dette est utilisé pour mettre en place des politiques d’austérité qui reviennent sur les acquis sociaux. Le prix à payer est une casse de  la protection sociale, celle-ci renverrait à l’époque révolue de l’Etat Providence. Nous n’avons plus les moyens d’une telle politique de solidarité, reste donc à réviser à la baisse toutes les prestations sociales, le RSA, les prestations maladies, le montant des retraites, les services publics, bref en quelque sorte tout ce que les luttes sociales des années précédentes avaient apporté comme amélioration des conditions de vie.

  • A privatiser le social

En 1999, le patronat avait lancé, le concept de « refondation sociale » et Denis Kessler, son représentant,  affirmait qu’il fallait : réintroduire « l’exigence économique » dans un social qui a, quelquefois, trop tendance à jouer son émancipation ou même à vouloir la dominer. »

Denis Kessler, toujours lui,  affirmait également qu’il  s’agissait de poursuivre et d’approfondir le processus de privatisation des services de l’Etat-Providence, c’est-à-dire leur transformation en terrain d’accumulation et de rentabilité des entreprises privées. Ces dernières doivent réintégrer la protection sociale qu’elles avaient externalisée, en la déléguant à l’Etat. Les assureurs notamment estiment avoir été spoliés en 1945. Ce n’est donc pas pour rien que les premiers plans d’austérité imposés par le FMI (Fonds Monétaire International) et l’Europe à la Grèce et au Portugal exigeaient de nouvelles privatisations, ce qui faisait dire à un syndicaliste grec : « ce n’est pas un sauvetage, c’est une braderie » !.

Ainsi donc d’un côté le patronat s’appuie sur la crise pour exiger une solidarité sociale à la baisse en faisant passer l’idée que nous n’avons plus les moyens de la protection sociale  et de l’autre côté le même Medef réclame que la protection sociale soit intégrée dans l’entreprise et l’économie pour récupérer un marché éminemment rentable . Le calcul réalisé montre que l’épargne des salariés et de la population, les fonds de pension, l’assurance maladie, les différents services sociaux gérés dans un univers concurrentiel représentaient  en 1999, 2600 milliards de francs. Soit 150% du budget de l’Etat pour la même année. La dette a donc ici pour fonction d’accélérer les privatisations du social. Ce qui signifie que l’égalité de traitement des citoyens, qu’ils soient riches ou pauvres, qui prévalait au contrat républicain et qui permettait de parler de solidarité, est rangé au rayon des idées dépassées et ringardes. Et l’on voit très clairement que le marché potentiel de la protection sociale vaut bien quelques indulgences pour le montant de la dette !

Ceci est d’autant plus vrai que les organismes chargés de cette protection sociale sont obligés de passer sous les fourches caudines de la financiarisation du social. Pour exemple : la déclaration de l’UNEDIC  le 12 octobre 2010 : « l’UNEDIC se félicite de la confirmation de ses notes à long et court terme par les trois agences Ficht (AAA- F1+), Moody’s (AAA- P-1) et Standard and Poor’s (AAA-,A- 1+)… l’excellence de cette notation permettra à l’UNEDIC de mener à bien son programme de financement garantissant ainsi  la continuité du service des allocations chômage. » Ainsi donc il s’agit ici d’être bon élève au yeux des agences de notation pour être en mesure d’emprunter à un taux moindre, tout en creusant la dette de 13 milliards d’euros sur l’année 2011…

  • A accélérer la privatisation des services publics

En mettant en place les politiques d’austérité pour répondre aux critères de Maastricht, ce sont les services publics qui ne peuvent plus être assurés et parmi eux certaines des fonctions régaliennes de l’Etat. Ne parle-t-on pas aujourd’hui de confier les PV aux entreprises privées des autoroutes, et de remplacer certains agents de sécurité par des personnels d’officines particulières, … Ce qui répond bien aux volontés du patronat qui demande l’externalisation de services vers le privé, pour ne pas dire le mot de privatisation qui pourrait peut-être fâcher !

 

  • A renforcer le modèle libéral européen

Ce qui est donc en cause dans cette vision de l’économie et du monde, c’est bien la fin des états –nations. Jusqu’à peu, les états battaient monnaie, et les décisions liées à la monnaie étaient des décisions politiques. Aujourd’hui l’autonomie  de la Banque européenne et de la Banque de France interdisent aux élus de la nation d’avoir une prise sur ces décisions, ils doivent les subir, seul le marché commande.

Les responsables politiques sont devenus de simples exécutants des décisions essentielles prises ailleurs en matière financière, mais aussi en matière économique et sociale. Ils feignent simplement d’en être les auteurs, alors qu’ils ne sont plus que les instruments des consortiums bancaires et des intérêts des grandes multinationales, ou de la vision libérale de l’Europe. Le vieux rêve de la disparition de l’Etat chers aux libéraux et aux trotskistes est en grande partie réalisé.  Nous sommes loin du temps où De Gaulle affirmait : « la politique ne se fait pas à la corbeille ! ».

C’est bien cette impossibilité du politique à orienter les choix économiques qui aboutit à la montée des populismes dans nombre de pays européens.