Les photos et les textes d’Eric Gautier sont extraites de » l’œil oblique reflets de Sèvre » publié aux éditions Atlande.
La rivière comme un miroir dépoli du souffle irrégulier du vent
Invitation permanente à prendre le chemin du reflet pour découvrir non pas la face cachée ou l’envers du décor, mais l’image décalée, l’image tamisée par le frémissement du flot, l’image coloriée par les diffractions multiples.
Il ne reste plus qu’à choisir le ciel qui donnera à la rivière la profondeur sombre des jours d’hiver, la douceur pastel d’un éclairage printanier ou la chaleur lourde d’un bleu dense d’été. Chaque jour porte sa couleur, unique, jamais semblable ni à celle du matin précédent, ni à celle du soir à venir, ni même à l’instant d’avant, ni même à l’instant d’après.
Il convient donc de croquer l’instant, le déclic du millième de seconde, de le pincer d’un coup sec entre les doigts pour figer le mouvement et révéler la couleur
Avec un peu de chance on pourra retrouver ou peut être s’égarer dans la palette d’un peintre. Impressions fugitives saisies à la volée, bien avant que le tableau n’ait vu le jour
Braqueur d’instantanés aléatoires nés d’abord dans le regard qui fabrique l’image et la lumière perçue d’un simple battement de paupières ou d’un léger plissement de l’œil
Embarquement pour le voyage, le rêve et la projection de soi tous azimuts dans l’image figée désormais offerte à l’interprétation, au ressenti, à l’émotion.
LN’allez surtout pas croire que les mots se seraient
glissés sur la page pour singer les images
Ils parlent en ricochets multiples et variés, s’irisent en surface en brûlant leur vitesse
avant de s’engloutir dans le fond du marais
Ils ne sont là que pour accompagner la couleur des images
Contrepoints ciselés
fugues intempestives
harmonies fugitives
dissonances aigües
ils se donnent d’abord à travers leur musique
Reflets de source
Un simple filet d’eau perce les lèvres rouges de la terre
la source naît sous l’ombre large des fougères
Elle court
elle grossit
elle enfle
antipodes des eaux dormantes et sages
elle bruisse et roule légèrement
entraînant dans son rythme
le chant têtu des grillons orageux
Elle danse
rides fraîches d’été
à peine née
elle s’échappe
disparaît sous la roche
et ressurgit plus loin
sans que l’on sache d’où
Elle s’adresse en passant au lavoir déserté du linge
et des coups de battoir
Indiscrète comme à son habitude
elle tend l’oreille pour retrouver la litanie acide
de quelques lavandières
Eau vive propre à noyer les étoiles
eau de moulin à fracasser le silence
comme on fracasse une noix
Ecume jaillissante en vague de cascade
elle reste encore ruisseau
trop frêle pour la barque
Elle s’étend elle s’épand et se calme presque
jusqu’au sommeil
laisse entrer dans son lit la respiration douce des nénuphars
se drape tout de vert
laissant juste la place à la fleur de l’iris
impossible à cueillir
Ruisseau elle était née
rivière elle s’affirme
voyage le silence dans le cœur du marais
Nostalgique
elle abrite en son sein la nasse et le bourgnon
épouse l’épervier lancé de main experte
et propose à l’anguille de goûter la vermée
puis s’endort au ponton
Infatigable porteuse d’eau pour l’arbre qui a soif
elle se donne
l’aulne autrement dit le vergne
le peuplier tout droit
le frêne têtard
torturé
tortueux
le saule tout en tristesse viennent s’y abreuver
Elle nourrit leurs bourgeons,
donne vie à leurs feuilles
et les force à grandir pour mieux s’y abriter
Reflets de rive
L’ombre rampe insensiblement
en se donnant pour la face cachée du soleil
mensonge ou illusion d’optique
elle mesure l’avancée du temps qui peu à peu
mène à l’oubli
La lumière quant à elle est une machine
à sculpter la matière
à faire naître le regard
à dessiner l’objet
à narguer les peurs
Alors
quand l’ombre et la lumière communient dans le reflet
pour peu que la rivière se mette à vibrer de l’émotion du vent
c’est une autre illusion
et un tel mélange
que Narcisse lui-même a du mal à se reconnaître
Les longues maisons basses
aux maigres toits de tuiles en font de même
la berge rectiligne s’habille de roseaux
et la brume dessine les matins blancs d’hiver
Quant au poisson qui s’amuse à faire des ronds dans l’eau
peu importe qu’il soit gardon
ou qu’il soit tanche
il se joue du pêcheur qui enrage à deux pas
L’été
elle baigne de chaleur
s’endort sous les lentilles
s’asphyxie dans les conches
dessine furtivement
la trace de la pelle
et son rythme dans l’eau
Plus haut
en remontant vers l’origine
elle s’assèche en à-sec
même le pic a soif
Elle porte alors tout son espoir
dans l’orage violent
la pluie chaude d’été
qui souvent fait chanter la menthe
Plus bas
en dérivant vers l’embouchure
elle hante la poussière du chemin de halage
marque le dos courbé à tirer les bateaux
puis soudain
elle s’enlise
elle s’envase
et guette alors la marée salvatrice
pour lui redonner vie