Dans mon vieux dictionnaire Bescherelle de 1852, je n’ai pas trouvé trace du mot migrant. Il est vrai que ce dictionnaire parfaitement authentique avait été imprimé à Paris et non à Calais. Il n’avait donc rien à voir avec le démantèlement de la « jungle », mot que je n’ai pas trouvé non plus… mais dont j’ai appris qu’il avait été emprunté à l’hindoustani, preuve, s’il en était besoin, que les migrations nourrissent notre belle langue que certains auraient tendance à proclamer plus française que française…
En revanche j’ai trouvé dans le dictionnaire historique de la langue française, cher à Alain Rey, que le terme « migrant » n’était apparu qu’en 1951. Ainsi, alors que l’humanité s’est constituée à partir de migrations multiples, l’emploi du mot migrant est extrêmement récent. Comment disait-on avant 1951 pour parler des femmes et des hommes qui « s’étaient retirés en quelque lieu pour être en sûreté ? ». Bescherelle toujours lui m’indique qu’on les appelait tout simplement « réfugiés » ? Ce que confirme le Petit Larousse illustré de 2011 qui définit le réfugié comme une « personne qui a quitté son pays ou une région pour des raisons politiques, religieuses, raciales ou pour échapper à une catastrophe. »
Derrière ces deux mots qui pourraient sembler synonymes, il y a quand même deux visions radicalement différentes. Le migrant se raccroche au nomade, aux gens du voyage, aux manouches qui sillonnent ou sillonnaient les campagnes, à tous ceux qui ne font que passer, même s’ils se heurtent aux frontières, et qui sont donc difficilement contrôlables. Bref, ils incarnent la figure de l’étranger, mot, comme par hasard de la même famille qu’ « étrange », étranger ou étrange parce que différent, inhabituel… De tout temps les nomades ont inquiété les sédentaires qui, pour se protéger, les ont accusés d’être la cause de tous les maux… voleurs de poules, voleurs d’enfants ou violeurs de filles.
Le réfugié, quant à lui, est celui qui a trouvé un refuge, un lieu où il se sent en sécurité et dans lequel il peut vivre malgré ses différences d’origine, de langue, de culture.
Cette simple opposition de sens situe bien le clivage politique dans l’utilisation de ces deux mots. On comprend alors pour le parti du Front National se lance dans une campagne sur le thème : « Ma commune sans migrant ». Cette campagne s’appuie sur une charte précédée d’une déclaration liminaire dans laquelle les auteurs se revendiquent de la Laïcité pour dénoncer « l’immigration massive qui nourrit les revendications communautaristes » ou bien encore qu’ «elle provoque des tensions graves avec les administrés, nuisant à l’ordre public, asphyxiant l’économie locale et menaçant l’exercice des libertés individuel les… » Avant de considérer les migrants comme des terroristes en puissance…
Qu’elle étrange conception de la laïcité !
La charte demande aux maires qui la signent :
– de «ne verser aucune subvention aux associations dont l’objet social est de promouvoir l’immigration massive et/ou l’accueil de migrants en situation irrégulière,
– d’utiliser tous les moyens légaux afin d’obtenir l’évacuation des camps sauvages de migrants ou la cessation de toute emprise irrégulière par des groupes de migrants sur le territoire de la commune, d’organiser une réunion d’information publique à destination des administrés afin de les renseigner sur l’impact des politiques d’accueil de migrants…
– de faire adopter cette charte en conseil municipal et de la communiquer aux représentants de l’Etat, au conseil départemental et au conseil régional… »
Les auteurs de cette charte ne vont sans doute pas tarder à intégrer dans son corpus délétère l’initiative du Maire de Béziers qui veut interdire les écoles aux enfants de migrants…
Sur le même sujet, le Président par intérim des Républicains, quant à lui, souhaite en tant que Président de la région Auvergne, Rhône Alpes « une région sans migrant ! » Après tout, la Région n’est qu’un ensemble de communes ! Reprendre le mot d’ordre de la droite extrême en dit long sur la porosité idéologique entre le les Républicains et le Front National.
Mais ce qui, à mes yeux, est sans doute encore plus grave, c’est que la gauche au pouvoir a perdu, par pression sécuritaire et sans doute aussi par électoralisme ce qui était la fierté de notre république ! J’ai personnellement le souvenir de ce que m’a dit un chilien qui avait été réfugié en France au moment du coup d’état de Pinochet : « à travers vous je remercie la France de m’avoir accueilli ». Je doute qu’une telle phrase puisse être prononcée dans quelques années par ceux qui cherchent aujourd’hui chez nous un refuge où s’abriter.
Merci alors aux maires qui acceptent d’accueillir des réfugiés et non des migrants.