Hier, la loi était censée s’imposer à tous, elle était la marque de l’Etat qui devait défendre l’intérêt général, elle n’avait de valeur que sur un territoire particulier. La loi était la justice et en cas de manquement c’étaient les juges qui, au nom de la République, prononçaient le verdict et condamnaient ou non à la peine réparatrice. La loi, visant l’égalité de tous, était là pour réguler les relations sociales au nom de l’intérêt général.
Mais quand il n’y a plus que des intérêts particuliers à défendre, la loi soudain devient obsolète, elle devient même un obstacle, elle dérange et gêne les intérêts particuliers.
Hier aussi, la loi encadrait les négociations commerciales entre Etats, aujourd’hui la circulation des idées et des marchandises s’est accélérée au point de réduire la temps à une toute petite parcelle d’instant, elle fait voler en éclats les frontières elles-mêmes. Le contrat vient alors primer sur la loi. Le contrat, c’est-à-dire l’accord entre deux parties devient une référence supérieure à la loi de chacun des Etats. Il en est ainsi du CETA. En fait cette négociation est menée par l’Europe, qui n’est pas un Etat… mais la signature du contrat s’imposera à tous les membres de l’Europe et chaque Etat devra s’y conformer.
Le contrat est de l’ordre du commerce, il est présenté comme étant de l’ordre de la liberté. C’est un accord entre deux parties, l’idée de justice a ici perdu son sens, à la limite on parlera d’un contrat équilibré mais l’adjectif juste n’a pas sa place il n’existe que pour un temps donné et scelle un accord pour les seuls signataires. Il est spécifique aux situations pour lesquelles on est amené à contractualiser.
Mais s’il nie la place des Etats dans les négociations commerciales, le « monde mondialisé » a encore besoin des Etats pour faire respecter l’ordre, l’ordre à l’interne des pays, l’ordre sans lequel le commerce international ne peut prospérer. Il a aussi besoin des Etats et de leurs dirigeants, surtout pas pour diriger le monde, il s’en charge ! mais pour donner le change, pour leurrer les citoyens et faire croire que leurs représentants ont réellement le pouvoir, alors qu’il ne sont en fait que les valets de la mondialisation galopante incarnée par les multinationales. Le rôle des élus sera désormais de faire en sorte que le territoire qu’ils représentent soit libéralement compatible. Pour cela ils auront plusieurs missions.
Tout d’abord, modifier les textes, lois et règlements, qui pourraient faire obstacle à l’avènement de « l’entreprise uber alles » louée soit-elle, et du profit à portée de main, pour cela ringardiser les opposants en les renvoyant à l’ancien monde, vieux, poussiéreux, dépassé, alors qu’eux, jeunes, dynamiques et engoncés dans leurs costumes respectables sont en mesure de s’adapter…
Il convient aussi de reproduire ce discours de ringardisation à tous les niveaux de responsabilité. Il n’y a pas d’avantages acquis. Tout est à remettre sur la table, pour construire l’histoire de demain il faut nier l’héritage du passé. L’amnésie doit tenir lieu de politique.
C’est ainsi que l’on pourra dépolitiser la politique en affirmant qu’il n’y a plus qu’un seul modèle de société possible et faire croire, faire croire quasi-religieusement, que dans la Macronie, les élus œuvrent pour l’intérêt général et que les opposants ne défendent que leur pré carré et leurs pré-bandes. Faire croire, oui faire croire, que plus les riches sont riches, plus les pauvres auront la chance de profiter de quelques miettes tombées de leur table de ripailles…
Et l’organisation politique de la société doit suivre, tout le reste n’est que maquillage, car à l’image de la mondialisation, la concurrence doit être le moteur, non seulement, entre les entreprises mais aussi entre toutes les collectivités. Ainsi la concentration et le regroupement s’imposent pour les territoires au nom de l’efficacité, on peut bien s’éloigner des citoyens, puisque cela coûtera moins cher !
L’élu est devenu entrepreneur et la gestion des collectivités n’est qu’une gestion d’entreprise.
L’attractivité est devenue le maître mot. Attractivité à tous les niveaux ! L’Etat doit être attractif pour permettre aux riches de s’enrichir toujours plus. Finissons-en avec l’ISF !
Mais c’est quoi au juste être attractif ? Qu’est ce qu’une région attractive ? Qu’est-ce qu’une ville attractive ? Qu’est-ce qu’un employé attractif ?
N’oublions pas que derrière l’attractivité pour les uns, se cache le désert pour les autres ! C’est cela un monde régit par la concurrence !
Pour mener à bien cette main mise de l’économique sur le politique, de la finance sur les hommes, et cette entrée dans la « liberté libérale » le système a encore besoin de laquais. Ecoutez-les ! Regardez-les !
Dans leur monde, on est toujours le laquais de quelqu’un et le Maître d’un autre ! Le laquais des grands groupes internationaux s’appelle Président. Il exerce les talents qu’on lui prête à un taux juste en dessous de celui de l’usure pour qu’il perdure le temps de sa mission… Lui-même pour exister a besoin de laquais qui vont répercuter sa soi-disant pensée complexe, dans une langue de bois absolument assourdissante. Ils seront fiers d’être laquais du Président.
Ils sont tous nés d’une dépolitisation de la politique, leur paradoxe c’est que pour remplir leur mission de valet, ils aient encore à faire croire qu’ils font de la politique et qu’ils pensent le monde en train de se créer alors qu’ils ne font que régurgiter les poncifs du libéralisme ambiant.
Ils sont élus donc légitimes. Ils s’affirment alors représentants du peuple, d’un peuple qu’ils ne connaissent pas et qu’ils méprisent. D’un peuple qui prend en plein visage la soi-disant pensée du Président : « plutôt que de foutre le bordel, ils feraient mieux de chercher du travail » déclaration qui prend la suite de beaucoup d’autres… Le pire n’est même pas cette déclaration méprisante, mais c’est bien quelque part le service après vente des laquais, buveurs invétérés de paroles officielles et cracheurs de mots glauques, vides, creux et sans relief. Des laquais qui croient eux-mêmes ouvrir des temps nouveaux, alors qu’ils sentent la poudre et le fard de l’Ancien Régime, dans lequel la justice était comme dans le monde qu’ils construisent dans la main des puissants.
Oui le monde a basculé. L’image désormais se vend pour le réel. La liberté n’est plus qu’un emballage Et le contrat a supplanté la loi. Désormais le juge laissera la place aux négociateurs et aux avocats qui seront chargés de déterminer les préjudices subis. On commence par les ordonnances sur le travail… le reste suivra.
Le Quaireux le 9 octobre 2017