Dénonciateur, non! « aviseur », oui!

 

Dans la loi de finances 2017, un amendement proposé par 26 députés socialistes légalise à titre expérimental pour une durée de deux ans, la rémunération de la dénonciation d’un contribuable. Le vocabulaire du rédacteur s’est entouré d’une pudeur toute  en conformité avec la dignité de l’Assemblée puisque « celui qui donne » ne saurait être une « balance »,  pas plus un informateur, pas plus un indicateur, pas non plus  un délateur, encore moins un dénonciateur,  encore moins un rapporteur qui aurait fait un peu trop cour de récréation :

« Rapporteur à la maison qui reçoit des coups d’bâtons
Rapporteur à l’école qui reçoit des coups d’casseroles
et rapporteur aux impôts qui va toucher le gros lot… »

Non celui qui soupçonne son voisin… et qui le fait discrètement savoir à la direction des impôts la plus proche,  est tout simplement un « aviseur » .  Merveilleuse langue française qui néologise à tour de bras pour masquer  une réalité peu reluisante grâce à des mots flambant neufs…

 « L’avisage » ne se fait pas à découvert, il doit être signé, mais la direction des impôts s’engage à lui donner un caractère d’anonymat… ce qui serait bien utile au cas où « l’aviseur » oublierait par simple distraction de déclarer ce revenu supplémentaire… à moins que pour impulser la mesure, les revenus de « l’avisage » soient considérés comme une niche fiscale nette d’impôt.

Moralité, (si le mot a encore un sens…) : un bon citoyen dénonce son voisin !
Il parait que ça se fait déjà en Allemagne, et ça s’est déjà fait en France aussi… Il y en a même de  très zélés qui faisaient des listes, tant ils avaient de voisins… c’est une vieille histoire,  pourquoi alors la remettre au goût du jour ? N’y aurait –t-il pas quelque chose d’indécent à prétendre que la méthode a fait ses preuves ?

Après l’entrée dans la loi par le truchement d’un amendement à quand l’inscription du principe de «  l’avisage » dans la Constitution ?

On pourrait même envisager un « avisage citoyen » c’est-à-dire bénévole pour éviter la professionnalisation… après tout, moi j’avise et c’est à la justice de vérifier si mon « avisage » est justifié… et tout cela gratuitement, un geste désintéressé, un acte gratuit en quelque sorte…

Mais quand même, dès que « j’avise », je fais surtout savoir que j’ai «avisé », parce que c’est là l’essentiel.

Je suis l’exemple de Mme Sophie Montel, députée du Front national au Parlement européen, qui avise la justice du cas de 19  parlementaires européens soupçonnés d’emplois fictifs… alors même que sa cheftaine de parti, Marine Le Pen, refuse de répondre aux convocations des juges pour le mêmes raisons …
Je suis aussi l’exemple, tout aussi brillant, du Parti républicain, sur l’air de « y a pas d’raison qu’ils gardent les mains blanches » alors que nous on en a pris plein la tête…. Vive la revanche dans les médias et les réseaux sociaux…

Parce qu’il est évident que fondées ou non, justifiées ou non justifiées, ces plaintes vont être reprises par l’ensemble des mouches et des moustiques plus préoccupé par les indices de l’audimat ou le bzz que par la vérité des faits.

Je ne suis pas certain qu’une loi quelconque puisse mettre un coup d’arrêt à la fois aux pratiques  que la justice condamne déjà, mais également aux pratiques  des délateurs de vérité qui manipulent l’information en faisant croire qu’ils veulent laver plus blanc que blanc. La campagne sur la moralité publique, qui affirmait qu’il y aurait un avant et un après Macron, revient comme un boomerang au visage de ses promoteurs.
Non pas,  parce que certains promoteurs de cette campagne seraient eux aussi pris sur le fait de traîner des casseroles, mais parce que cette loi à venir mélange deux registres qui  sont étrangers.
La morale est de l’ordre de la conduite individuelle, de la conscience personnelle c’est à dire du privé et la loi est de l’ordre de la justice, elle organise le collectif, la vie sociale, elle est de l’ordre du public parce qu’elle s’impose à tous. Ainsi une condamnation ne peut venir que d’un manquement à la loi et non d’un manquement  à la morale.
Vouloir faire de la loi un instrument de la morale est en ce sens une ineptie, qui ouvre la porte aux intégrismes, c’est en effet  ce qui se passe dans les pays où règnent en maitres les pourfendeurs de vertus et les polices religieuses.

En tout cas, pendant c’temps là, sans que personne ou presque n’en parle, mais la « société civile » s’assied dans  les fauteuils des ministères, voici les anciens, d’Areva, de Thalès, de Citigroup HBCS, du Crédit Agricole,  des Aéroports de Paris, de Danone Nestlé, de Schneider Electric, d’Esso Total,  de Dassault système d’Havas et de MSC Croizières qui prennent les commandes de l’Etat… La loi sur la moralisation va-t-elle renforcer la prise légale d’intérêt ?

Le Quaireux le 5 juin 2017

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