Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà…

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » disait Pascal, ce que nous pourrions traduire dans l’actualité par « vérité à Barcelone, erreur à Madrid ! » ou bien encore : « Vérité à Madrid, erreur à Barcelone ! » Encore une fois nous ne voyons les choses qu’à partir de notre point de vue.  Nous regardons l’Espagne et la Catalogne au travers de nos propres filtres.

C’est en tout cas ce que montrent les commentaires divers et variés qui se répandent dans les médias de France et … de Navarre.

« Vérité à Madrid, erreur à Barcelone » entend-on à Berlin, comme à Bruxelles, comme à Paris. On a pris la précaution oratoire d’un faux-cul diplomatiquement correct en affirmant : la Catalogne n’est pas un problème européen, mais on a aussitôt corrigé en indiquant que si la Catalogne prenait son indépendance , il lui faudrait faire une demande d’adhésion à l’Europe en bonne et due forme, en respectant les délais imposés et l’ordre de passage des autres demandeurs…

Et pourtant qu’y a-t-il derrière tout cela ? Ce qui questionne d’abord, c’est la remise en cause des états-nations. Jusqu’à ce jour les états-nations étaient un espace politique sur lequel s’exerçait la démocratie. Les frontières, la constitution, l’unité d’un peuple dans sa diversité était à la base d’une citoyenneté qui permettait de vivre ensemble, sinon en solidarité. C’était aussi au sein de ces états-nations que s’exerçait l’activité économique, les frontières douanières protégeant d’une concurrence absolue. Les états nations étaient, en Europe du moins, à la fois un espace de démocratie et un espace de développement économique.

Ce qui est sans doute en train de se jouer aujourd’hui, au travers la Catalogne mais aussi l’Ecosse et sans aucun doute quelques autres régions au sein de l’Europe, c’est la dissociation entre ces deux aspects des états nations. D’un côté un volet politique structuré autour des états et de l’autre un volet économique dans lequel la fonction des états est remise en cause par le libéralisme et la concurrence.
Ce n’est pas pour rien que les régions qui souhaitent se séparer de l’état dans lequel elles s’inscrivent sont des régions prospères totalement intégrées au système libéral mondialisé. Ce qui amène à considérer les états comme des obstacles au règne du marché ce qui a toujours été la position des libéraux, mais aussi paradoxalement du courant trotskiste d’une pensée de gauche qui a toujours vu dans les états un instrument d’oppression des peuples.

Ce n’est pas non plus pour rien que ces régions riches souhaitent continuer à être intégrées dans l’Europe essentiellement pour l’ouverture aux marchés.

On peut du reste se demander si la situation actuelle n’est pas tout simplement le prolongement des positions politiques de l’Europe libérale. L’Europe prise en quelque sorte à son propre piège du développement de l’attractivité et de la puissance économique des régions.

Devant cette situation la question qui est posée est de savoir si l’affirmation de nouveaux  espaces économiques régionaux puissants peut remettre en question la référence aux états-nations sur lesquels étaient jusqu’alors basés nos espaces  démocratiques.  « Pourquoi aurait-on encore besoin des états-nations », l’autre face de la question étant : « que signifierait un morcellement des états ? » Et surtout par quoi remplacerait-on une telle organisation politique ?

Aujourd’hui un soi-disant nationalisme catalan s’oppose à un nationalisme espagnol, cette opposition puise bien sûr un certain nombre de raisons dans l’histoire, elle est sans aucun doute l’affirmation d’une identité culturelle et linguistique. Il n’en reste pas moins qu’un nationalisme en chasse un autre…

L’argument républicain de la Catalogne, contre la royauté espagnole, a tendance à flatter nos oreilles républicaines en recherchant une certaine revanche de la guerre d’Espagne, histoire d’effacer notre culpabilité liée à l’attitude de la France d’alors.

L’histoire n’évolue jamais de manière linéaire, elle procède la plupart du temps par des sortes de sauts quantiques qui reconstruisent des équilibres à la suite de crises qui les avaient détruits.  Observons que toutes nos constitutions, c’est-à-dire les textes qui permettent une vie commune, ont été écrites à la suite de graves crises très souvent à l’issue de guerres : la IIIème République est née de la défaite de la guerre de 1870, la IV ème de la victoire sur le nazisme, et la Vème  des conséquences de la guerre d’Algérie, même si à l’époque le mot guerre  était remplacé par celui d’événements. C’est dire que les constitutions sont des textes qui doivent évoluer pour mieux prendre en compte les réalités auxquelles elles sont confrontées. Cette évolution constitutionnelle est-elle encore possible pour développer l’autonomie sans aller jusqu’à la rupture de l’indépendance ?  Ou bien est-il trop tard, le poids économique de la Catalogne étant trop lourd pour accentuer l’autonomie alors que le poids politique du vote des catalans pour la droite espagnole, trop faible, compte finalement peu pour le gouvernement en place à Madrid ?

Le Quaireux le 16 octobre 2017